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LA DARIJA LANGUE « NATURELLE » DU THÉÂTRE MAROCAIN ?
¿EL DARIJA LENGUA «NATURAL» DEL TEATRO MARROQUÍ?
DARIJA AS THE 'NATURAL' LANGUAGE OF MOROCCAN THEATRE?
الدارجة اللغة "الطبيعية" للمسرح المغربي؟
Al-Andalus Magreb, vol. 26, n° 1, pp. 1-27, 2019
Universidad de Cádiz

Artículos

Al-Andalus Magreb
Universidad de Cádiz, España
ISSN-e: 2660-7697
Périodicité: Anual
vol. 26, n° 1, 2019

Résumé: À ses débuts le théâtre marocain, animé essentiellement par de jeunes issus des mouvements nationaliste et réformiste, adopta comme langue l’arabe classique ou littéraire. Mais très rapidement la Darija ou langue arabe marocaine, sera de plus en plus adoptée par les dramaturges marocains, jusqu’à devenir, à partir des années 1950, la langue principale du quatrième art marocain. Cet article essaiera de brosser un tableau panoramique de l’utilisation de la darija dans le théâtre marocain en s’arrêtant sur les moments les plus importants de ce processus et en mettant en lumière les expériences les plus marquantes de quelques dramaturges comme Bouchïb el Bodaoui, Abdellah Chakroun, Tayeb Al-Alj, Tayeb Saddiki, Mohamed Kaouti, qui ont non pas seulement utilisé cette langue comme moyen de communication ordinaire mais en la consacrant définitivement comme moyen d’expression artistique et littéraire.

Mots clés: Théâtre, Art, Darija, Maroc.

Abstract: «Darija the ‘natural’ language of Moroccan theater?». In its beginnings the Moroccan theater, animated mainly by young people coming from the nationalist and reformist movements, adopted classical or literary Arabic as its main language. But very quickly the Darija or Moroccan Arabic, will be more and more adopted by Moroccan playwrights, until becoming, starting from the years 1950, the main language of the fourth Moroccan art. This article will draw a panoramic picture of the use of darija in Moroccan theater by considering the most important periods of this process and by highlighting the most striking experiences of some playwrights like Bouchïb el Bodaoui, Abdellah Chakroun, Tayeb Al-Alj, Tayeb Saddiki, and Mohamed Kaouti, who have not only used this linguistic variety as the language of communication but also have considered it as a means of artistic and literary expression.

Keywords: Theater, Art, Darija, Morocco.

ملخص: الدارجة اللغة "الطبيعية" للمسرح المغربي؟» في بداياته عشرينيات القرن الماضي، تبنى المسرح المغربي، الذي كان وليد مجهودات شباب جلهم كانوا ينتمون إلى الحركات القومية والإصلاحية، اللغة العربية الفصحى كلغة الكتابة. لكن سرعان ما سيتم إستعمال الدارجة المغربية من قبل الكتاب المسرحيين المغاربة إلا أن أصبحت خلال الخمسينيات اللغة الرسمية لهذا الفن. سنحاول في هذا المقال رسم صورة بانورامية ترصد تاريخ استخدام الدارجة في المسرح المغربي. سنتوقف كذلك على أهم المحطات والتحولات التي ميزت المسرح المغربي المدرج حيث سنسلط الضوء على أبرز تجارب بعض الكتاب المسرحيين مثل بوشعيب البيضاوي، عبد الله شقرون، الطيب العلج، الطيب الصديقي، ومحمد قاوتي، الذين لم يستخدموا هذه اللغة فقط كوسيلة للتواصل بل أيضا كوسيلة للتعبير الفني والأدبي.

الكلمات المفتاحية: المسرح, الفن, الدّارجة, المغرب.

0. Introduction

Depuis sa naissance à la fin du XIXe siècle, le théâtre arabe a toujours réservé une place particulière aux langues locales, que certains qualifient de dialectales ou de vernaculaires. Marun al Naqash à qui l’on doit la première pièce de théâtre arabe moderne, al Baẖīl inspirée de l’œuvre de Molière, n’a-t-il pas fait parler dans celle-ci le personnage de la servante, Oum Richa, en arabe libanais ? Cette timide présence de la langue locale dans le théâtre arabe va vite prendre plus d’ampleur quand quelques années plus tard ʿUṯmān Ǧalāl, le pionnier des traducteurs arabes et disciple de Rifāʿa al-Ṭahṭāwī, adapta plusieurs comédies de Molière dont al-Šayẖ matlūf, d’après Tartuffe, en 1873 ainsi que quelques tragédies européennes en arabe égyptien. Cette démarche audacieuse lui a valu d’acerbes critiques de la part de l’intelligentsia égyptienne de l’époque. On lui a beaucoup reproché l’utilisation d’une langue vulgaire qui n’a ni la valeur ni la puissance de l’arabe classique, surtout dans les tragédies censées être un genre noble(1).

1. L’émergence du théâtre marocain en’arabe classique

L’utilisation des langues arabes locales est un grand dilemme auquel ont été confrontés, dès leur naissance, tous les théâtres arabes y compris celui qui est apparu au Maroc à partir des années 1920.

En effet, si dans les formes spectaculaires dites traditionnelles ou ancestrales, dont la halqa reste la forme la plus populaire et la plus connue, la langue utilisée a toujours été la darija ou l’arabe marocain, il n’en était pas de même pour les premières pièces écrites et jouées par les pionniers de l’art dramatique marocain qui ont donné la primauté à la langue arabe littéraire ou classique. Toutefois, en se référant à l’histoire des arts profanes au sein de la culture arabo-musulmane et en prenant en considération le contexte politique dans lequel ont émergé ces premières tentatives d’écriture théâtrale, nous ne sommes nullement surpris par cette attitude « discriminatoire » à l’égard de la langue marocaine. Effectivement, quand on s’intéresse de près à l’histoire des arts populaires dans la culture arabo-musulmane en général, nous sommes forcés de constater que ceux-ci n’ont bénéficié d’aucun intérêt de la part des lettrés ou de l’élite savante. Au contraire, on les a toujours considérés avec dédain puisque ces formes artistiques étaient l’œuvre d’une classe sociale populaire, « ignorante » qui n’avait accès ni à l’éducation ni à la « haute » culture. Plus grave encore, certaines de ces formes, comme Khayal Zill, ont été interdites à plusieurs reprises parce qu’elles contenaient des critiques acerbes adressées à l’élite et à la classe dirigeante. Quant au contexte politique marocain des années 1920, qui vit la naissance du théâtre marocain, il était marqué par la lutte pour l’indépendance que menaient les nationalistes dont la majorité était issue des mouvements dits réformistes. Pour ceux-ci le seul moyen capable de sortir le peuple marocain de sa léthargie et de son ignorance passe obligatoirement par le retour aux « vraies valeurs de l’islam » dont la langue, celle dans laquelle le Coran a été révélé, est l’arabe classique. Il était donc tout à fait naturel que les premières pièces soient écrites dans cette langue « presque sacrée » d’autant plus que la découverte de cette nouvelle forme artistique par les jeunes marocains s’est faite grâce aux pièces jouées par les troupes arabes qui ont rendu visite au Maroc à partir des années 1920(2). La première génération qui se lança dans l’écriture théâtrale, par mimétisme, a logiquement reproduit les mêmes schémas et canons de ces pièces orientales en utilisant, bien sûr, la langue arabe classique.

Néanmoins, dépassant le cadre des places publiques, le spectacle populaire réussit petit à petit à pénétrer la cité et les foyers marocains en intégrant, sous forme de sketches et de saynètes comiques, les célébrations populaires et les fêtes religieuses tels les mariages, les fêtes de naissance etc. Il s’agissait selon Rachid Bennani(3) d’une forme de théâtre professionnel puisque ces spectacles constituaient la seule source de revenu pour ses animateurs. Quant à l’autre forme qualifiée de « théâtre amateur sérieux », représentée par les anciens élèves et étudiants des collèges, lycées et universités marocaines(4), il existait quelques tentatives pour introduire l’arabe marocain dans quelques soirées théâtrales. Celles-ci prenaient la plupart du temps la forme d’intermèdes comiques donnés soit avant la pièce principale soit pendant l’entracte. Toutefois, ces saynètes comiques n’étaient pas très appréciées par les lettrés marocains, qui, incapables de se défaire du regard dédaigneux qu’ils ont toujours porté sur cette langue, les qualifiaient de « vulgaires ».

À ce propos, et pour donner une idée de la nature des débats qui avaient lieu au sujet de l’utilisation de l’arabe marocain dans le théâtre, nous citons un échange intéressant qui a eu lieu entre deux intellectuels éminents, tous deux témoins de l’émergence du jeune théâtre marocain : ʿAbd el-Kbīr el Fāsī, nationaliste et poète, et Muḥammed ben al-Šīẖ, auteur et metteur en scène(5). Cette discussion a eu lieu à propos de la représentation de la pièce al-Awṣiyā’ (Les tuteurs) de Muḥammad al-Qurrī. El Fāsī reprochait dans un article intitulé « Riwāyat al-‘awṣiyā’ »(6) à l’auteur de la pièce d’avoir utilisé la langue arabe classique à mauvais escient.

« La langue dans laquelle s’expriment certains personnages, écrit-il, les éloigne de la réalité et de la raison, c’est le cas du Juif et du Berbère qui, en rendant visite au tuteur dans sa boutique, lui parlent en arabe classique. Ceci est contraire aux règles artistiques parce que la réalité dément le fait qu’un Juif du mellaḥ (« quartier juif ») de la ville de Fès, qui appartiendrait à la même classe que le Juif de la pièce, puisse parler un arabe littéraire et M. al-Qurrī sait que cela n’a pas été possible même pour Moïse et ses descendants. La même chose pour le Berbère, qui veut aussi, comme le Juif, spolier le tuteur. Quand celui-ci commence à parler une langue dont il ne maîtrise ni les tournures ni le lexique, il perd toute crédibilité en étant loin de la réalité. Il fallait que le Juif et le Berbère utilisent la langue avec laquelle ils parlent habituellement avec les commerçants et les gens de Fès, en faisant attention aux tonalités de la voix et la façon de prononcer les lettres arabes. Ceci aurait eu plus d’impact sur les spectateurs et pouvait être source de rire.

Il se peut que certains considérant cette idée d’intégrer l’arabe marocain dans les pièces théâtrales, comme un manquement de respect à la langue arabe classique, s’offusquent […] et il se peut même que le jour du jugement arrive si je dis que la poésie en arabe marocain au Maroc est plus belle, meilleure, plus près de la nature des Marocains et plus à même d’exprimer les sentiments humains, mieux que dans la poésie de ceux qu’on appelle habituellement des poètes alors qu’ils ne font qu’aligner des rimes et des mots sortis tout droit des dictionnaires et utilisent des métaphores froides et artificielles […], et je dis que celui qui parcourt les livres biographiques des zağǧālīn (les poètes s’exprimant en arabe marocain), il y trouvera des vers écrits par beaucoup d’érudits et de rois que les plus célèbres des poètes [en arabe classique] ne peuvent en inventer pareils »(7).

Ce texte dʿAbd el-Kbīr el Fāsī, dont nous avons cité quelques extraits, est considéré par plusieurs historiens du théâtre marocain comme le premier texte critique sérieux « non impressionniste » écrit par un Marocain. Toutefois, devant le ton un peu provocateur et les critiques acerbes adressées à l’un des jeunes dramaturges les plus engagés dans l’action théâtrale, et surtout les attaques directes contre l’usage inapproprié de la langue arabe classique, des voix se sont élevées pour dénoncer ces propos et défendre l’utilisation de la langue du Coran. Parmi ces voix, figure celle de Muḥammed ben al-Šīẖ qui a répondu à dʿAbd el-Kbīr el Fāsī en écrivant un article intitulé « la langue des pièces théâtrales »(8). Il a écrit :

« Le journal al-Saʿāda, nous a dernièrement surpris par un article intitulé “La pièce des Tuteurs” écrit par notre ami, l’homme de lettres, ʿAbd el-Kbīr el Fāsī. Il s’agit en fait d’une campagne arbitraire contre la pièce Les tuteurs qui a été représentée par la compagnie fassie dans certaines villes marocaines. Beaucoup de personnes dénoncent l’injustice de cette critique, la première de son genre, dans le domaine de l’art théâtral. Mais ce qui nous intéresse dans cet article c’est l’idée de son auteur qui consiste à dire qu’il faut intégrer l’arabe marocain dans les pièces théâtrales et le fait qu’il exprime ouvertement sa préférence pour la poésie en arabe marocain au détriment de la poésie des poètes marocains [en arabe classique](9), c’est pour cela que nous avons souhaité répondre à l’homme de lettres el Fassi.

Nous avons écouté des chansons en arabe marocain dans les villes et dans les campagnes […] et nous n’y avons trouvé ni l’élégance ni la beauté qu’on trouve dans la poésie arabe marocaine [en arabe classique]. Et si ces « balivernes »(10) comportaient quelque chose de valide, ils ne seraient pas mis à l’écart des livres d’histoire. Et si, à l’occasion d’une festivité, nous nous trouvons face à quelqu’un qui répète les sagesses de Sidi Kadour el Alami(11) ou qui récite des poèmes du Melḥūn, dont l’essentiel de leur contenu est non valable, aucun sentiment ne surgit en nous […], et si en passant dans les souks ou en s‘arrêtant devant les cafés, tu t’arrêtes un instant pour écouter un conteur, ou des charlatans, tu repars sans que ces expressions populaires [en arabe marocain] n’aient un quelconque impact sur toi et sans qu’elles suscitent le moindre sentiment en toi. […].

Beaucoup de gens ne comprennent pas la langue du conteur à cause de la diversité des dialectes marocains. Rares sont parmi les citadins qui comprennent les paroles des gens de la campagne comme rares sont les campagnards qui comprennent les paroles des gens de la ville. Et cela constitue la première difficulté à laquelle le jeu des acteurs est confronté. Nous avons constaté cela quand des compagnies venues de l’extérieur ont essayé de jouer ici des pièces en arabe marocain sans rencontrer aucun succès auprès des spectateurs. Les Anciens élèves du lycée Moulay Idriss ont essayé auparavant d’appliquer cette idée quand ils ont débuté(12), mais les comédies qui ont été jouées en arabe marocain n’ont suscité aucun intérêt chez les spectateurs. Au contraire, ceux-ci ont manifesté un grand dégoût à l’égard de cette expression, parce qu’ils n’ont trouvé dans cette langue marocaine aucun motif de rire ni de réconfort. Il est vrai que celui qui cherche le divertissement dans le spectacle en arabe marocain, il le trouvera difficilement même dans le jeu du plus célèbre conteur de Bab al-Sakma, Kasba de l’Oudaya, bab Jamaa el Fna, à Fès, Rabat ou Marrakech »(13).

Cette confrontation, nous donne une idée assez claire sur le traitement réservé par une élite marocaine nationaliste et réformiste à l’arabe marocain pendant les années 1920-1930. L’homme de théâtre Muḥammed ben al-Šīẖ n’hésite pas à dénigrer et à vilipender violemment cette langue ainsi que toutes les formes spectaculaires populaires qui existaient dans la société marocaine. Que ce soit la poésie, les chants, les rituels, les adages, ou les formes spectaculaires telle la halqa. D’ailleurs ses attaques contre cette forme spectaculaire populaire qui était très présente pendant ces années-là dans l’espace public, sont directes et plus acerbes. Sachant que ces spectacles avaient habituellement lieu devant les grandes portes des médinas (vieilles villes), l’auteur de l’article fait explicitement référence à ces lieux symboliques que sont les places les plus célèbres où se tenaient ces halqas : Qasba de l’Oudaya à Rabat, Bab Sakma à Fès, la place de lahdim á Méknès et bien sûr la célèbre place Jamaa el Fna(14) à Marrakech, pour dire que les meilleurs des conteurs étaient incapables de divertir les spectateurs marocains à cause de la langue locale qu’ils utilisaient.

Cette attitude discriminatoire envers la langue maternelle des Marocains, changera petit à petit quand les élites nationalistes, qui ont adopté et encouragé le théâtre en tant qu’expression littéraire et même en tant que moyen de propagande et de sensibilisation, s’ouvriront de plus en plus sur les couches les plus populaires dont ils avaient besoin pour asseoir leur légitimité. C’est ainsi qu’à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, de plus en plus de comédiens commencent à utiliser la darija dans leurs spectacles.

2. L’arabe marocain : du chant et du divertissement populaires aux pièces sociales

Issus des milieux populaires, Bachir el Alj(15), Bouchaïb al Bidaoui(16) Ahmed el Qadmiri ont longtemps été des acteurs dynamiques de la scène théâtrale marocaine durant les années 1950. C’est grâce à eux que l’arabe marocain en tant que langue du théâtre et plus précisément de comédie populaire, a commencé à s’imposer avec force, d’abord sur les ondes des chaînes de radios locales, puis sur les planches des théâtres. Encouragé par une ambiance de liesse et de fête, suite au retour du sultan Mohamed V de l’exil en 1955, ce groupe d’artistes, semi-professionnel, proposait des spectacles divertissants alliant comédie et chants populaires qui plaisaient énormément au public populaire. D’ailleurs c’est Bouchaïb al Bidaoui, qui fut un chanteur de talent, et son acolyte le musicien Haj Mohammed Qibbo (surnommé le Maréchal), qui ont donné un souffle nouveau à la Aïta(17), ce chant campagnard populaire longtemps dénigré par les élites.

Il faut dire qu’au Maroc, la radio a joué un rôle précurseur dans l’utilisation artistique de l’arabe marocain. Peut-être est-ce le fait de ne pas affronter directement le public en étant derrière le microphone, loin des regards des spectateurs, qui a encouragé certains animateurs à tenter l’expérience. Ces premières tentatives, nous les devons à Abdellah Chakroun, l’un des pionniers qui a débuté sa carrière en tant que rédacteur-speaker avant de devenir Chef de la division du Théâtre arabe de Radiodiffusion marocaine et de fonder la première formation professionnelle dramatique marocaine, « la Troupe de Théâtre arabe de la Radiodiffusion marocaine » qu’il a dirigé pendant quatorze ans. Celui-ci, en plus d’être le premier à confier des rôles à des comédiennes, il fut aussi l’un des premiers à proposer des « radiodrames » en arabe marocain. Il précise lui-même, dans son livre témoignage À la rencontre du théâtre au Maroc, que la première tentative de diffuser des pièces de théâtre sur les ondes a échoué à cause, entre autres, de l’utilisation de l’arabe classique.

Il affirme :

« Les responsables redoutaient de heurter la sensibilité des hommes de lettres qui eussent considéré l’usage du dialectal dans l’art dramatique comme attentatoire et un manquement de respect dû à la langue du Coran. Il n’était pas du tout correct de s’adresser à l’auditoire en langue “vulgaire”. Il était normal qu’il en fût ainsi étant donné que le théâtre connu par les Marocains s’exprimait, lors de la tournée d’une troupe venue de l’extérieur et celles de troupes locales, exclusivement en arabe littéraire. Aussi la popularité du théâtre radiophonique était-elle dans l’ensemble plutôt limitée »(18).

Bravant ce tabou, Abdellah Chakroun, a écrit et a mis en onde plusieurs pièces radiophoniques en arabe marocain qui, contrairement à ce que certains craignaient, rencontrèrent un vif succès auprès des auditeurs.

« Les pièces en dialectal étaient très appréciées des auditeurs contrairement à toute attente. Le public était très sensible à la clarté et à la simplicité qui caractérisaient ces émissions, d’autant qu’elles se rapportaient au “vécu” – comme on dit aujourd’hui – de la société, aux problèmes ordinairement posés aux gens... »(19) témoigne-t-il. Ce grand taux d’audience poussa même la direction de la station de radio à augmenter la tranche horaire allouée à la diffusion des « radiodrames », deux fois par semaine au lieu d’une seule. La diffusion de ces pièces dites « populaires », a contribué largement à la popularisation et à la « démocratisation » de l’art dramatique auprès d’une large frange de la population marocaine qui n’avait pas accès à l’éducation et par conséquent ne comprenait pas l’arabe littéraire, comme elle a encouragé de jeunes auteurs, qui sont devenus plus tard des noms connus, à se lancer dans l’écriture en arabe marocain. Ajoutons aussi que grâce aux efforts de Abdellah Chakroun, l’arabe marocain ne fut plus réservé aux seules pièces comiques et divertissantes, mais commença à être aussi utilisé pour exposer des sujets plus sérieux relavant essentiellement du registre social.

3. Quand l’arabe marocain devient « langue officielle » du théâtre marocain

Le lancement en 1952 des stages dramatiques par le Service de la Jeunesse et des Sports constitua un grand tournant dans l’histoire du théâtre marocain car c’est à cette occasion qu’arriva au royaume chérifien André Voisin. Celui-ci, plein de ressources et désirant de vivre une aventure inédite loin d’un théâtre parisien qu’il considérait comme sclérosé et trop maniéré, mobilisera tous les moyens nécessaires pour donner naissance à un théâtre marocain professionnel de langue arabe. Épaulé par deux jeunes intellectuels marocains, Abd Essamad el Kanfaoui et Tahar Ouaziz, et aidé par des collègues français, Pierre Lucas, Pierre Rich et Charles Nugues, il réussit à former des Marocains aux métiers du théâtre et susciter des vocations. Toute une génération de techniciens, comédiens, metteurs en scène et auteurs dramatiques a été initiée à l’art dramatique par Voisin et son équipe. Des stagiaires comme Tayeb Saddiki, qui deviendra le premier directeur marocain du Théâtre Municipal de Casablanca et l’un des dramaturges les plus renommés du théâtre arabe, Tayeb Al-Alj qui sera le directeur et l’auteur attitré de la Troupe nationale marocaine, Farid Ben Mbarek qui sera le pionnier et l’initiateur de la première expérience du théâtre universitaire, constitueront l’avant-garde du théâtre marocain moderne et deviendront les principaux animateurs du théâtre marocain d’après l’indépendance. Voisin a réussi aussi à esquisser les contours d’une forme d’expression dramatique nouvelle qui prend en considération les spécificités de l’homme marocain tout en ayant une approche « scientifique » moderne du fait théâtral. Certains chercheurs n’hésitent pas à le désigner comme le concepteur ou le fondateur « d’une nouvelle forme de théâtre marocain populaire ». Afin de donner naissance à ce théâtre populaire, Voisin a largement exploité le patrimoine local.

Parmi les idées mises en place par André Voisin(20) figure « l’Atelier des Auteurs » dont la mission était d’écrire des pièces qui pouvaient être jouées par la jeune troupe du théâtre arabe. L’instructeur français, insista pour que cet atelier soit animé aussi bien par de jeunes lettrés que par des auteurs populaires s’exprimant en arabe marocain. Il encouragea même les stagiaires à puiser dans leur propre patrimoine local. Et c’est au sein de cet Atelier que seront créés des pièces collectives telles Ibrāhīm ibn Adham ( Abraham fils d’Adam, 1952), Šems al-Ḍuḥā (La Princesse aux énigmes, 1953), al-Šeṭṭāb (Les Balayeurs, 1956)… ainsi que des pièces signées Ataa Ouakil (il s’agit d’un acronyme composé des premières lettres des noms de Abd Essamad, Kanfaoui, Tahar Ouaziz et André Voisin), toutes des adaptations d’après des pièces européennes(21), qui allaient consacrer définitivement l’arabe marocain comme langue de théâtre par excellence.

Les quatre pièces produites par le quatuor sont toutes des adaptations en arabe marocain. L’importance extrême que revêtent ces pièces réside dans le fait qu’elles sont devenues un modèle qui a été pendant longtemps érigé comme l’exemple à suivre, surtout après le succès remporté par les deux pièces al-Šeṭṭāb (Les Balayeurs) et ʿMāyel Ǧḥā d’après Les Fourberies de Scapin lors de leur présentation au Festival du théâtre de Paris en 1956.

Le public apprécia énormément cette nouvelle forme théâtrale sans sentir le décalage auquel il fut confronté en assistant aux adaptations orientales ou aux premières traductions locales qui étaient des reproductions fidèles des pièces européennes originales.

En fait, en plus de l’utilisation des procédés classiques de marocanisation qui consistait en l’implantation de l’action dans un milieu marocain, l’attribution de noms arabes aux personnages…, le travail réalisé par Ataa Ouakil dépassait ce stade premier de l’adaptation pour recréer la pièce originale avec un esprit marocain ; quelquefois on n’hésitait pas à opérer de sérieuses modifications touchant à la structure même de la pièce, à changer de personnages ou à abréger certaines scènes, tout en restant fidèle à l’esprit de la pièce.

L’autre originalité des adaptations de Ataa Ouakil se trouve bien évidemment dans les dialogues.

D’abord, le quatuor fit le choix de recourir au dialecte marocain au lieu de la langue arabe classique car les pièces qu’ils proposaient ne pouvaient être populaires si la majorité des Marocains, qui ne parlait pas la langue arabe classique, ne pouvait comprendre ce que disaient les personnages. Toutefois, le recours à la darija n’est en aucun cas synonyme de facilité car les dialogues élaborés par Al-Alj(22) sont d’une grande qualité. Grâce à la riche culture populaire dans laquelle il a baigné dès son jeune âge et ses talents de poète populaire, cette dernière donna aux dialogues une saveur particulière en faisant tenir aux personnages un langage poétique et très imagé. Ce qui explique le grand succès obtenu auprès des classes populaires.

D’ailleurs Tayeb Saddiki, l’un des brillants comédiens de la troupe et futur grand auteur et metteur en scène marocain, évoque les tournées qu’il effectua avec la troupe en ces termes : « Les publics qui assistaient à nos représentations se montraient enthousiastes. Dans beaucoup de villages, les gens n’avaient jamais vu cette forme étrange qu’est le théâtre à l’occidentale. Molière, Beaumarchais sont jugés sur pièces, ils se présentent pour la première fois devant ces publics. À publics nouveaux, auteurs nouveaux. Nous sentions confusément que nous vivions une expérience unique au monde. »(23)

Il faut dire aussi que le choix délibéré d’utiliser l’arabe marocain entrait dans une vision plus globale de décentralisation prônée par André Voisin qui voulait faire découvrir le théâtre aux Marocains se trouvant dans les coins les plus reculés du royaume.

4. Ahmed Tayeb Al-Alj et Tayeb Saddiki : quand l’arabe marocain devient un enjeu créatif

Comme il est mentionné plus haut, Voisin forma une pléiade de comédiens, techniciens et metteurs en scène qui porteront le flambeau du théâtre marocain après l’indépendance du Maroc en 1956. Deux parmi ceux-ci s’illustreront un peu plus que les autres : Ahmed Tayeb Al-Alj et Tayeb Saddiki. Deux monstres sacrés de la scène marocaine et arabe qui mèneront des carrières brillantes en écrivant et mettant en scène des dizaines de pièces théâtrales dont certaines sont aujourd’hui considérées comme des chefs-d’œuvre et des classiques du répertoire marocain. La langue arabe marocaine occupe une place centrale dans leurs œuvres respectives. Il faut signaler que leurs premières adaptations al-Warīṯ (L’héritier), d’après Le légataire universel de Regnard réalisée en 1954, a été écrite en arabe marocain. Néanmoins, les deux artistes ne se contentèrent pas de recourir à la langue marocaine comme simple moyen de communication dont le rôle premier et final est de transmettre des messages aux spectateurs mais ils réservèrent à leur langue maternelle un traitement bien plus original.

Après une phase de traduction et d’adaptation pendant laquelle ils firent découvrir au public local en darija quelques chefs-d’œuvre du théâtre mondial, les deux dramaturges se lancèrent dans la création originale. Tout naturellement, ils se sont tous les deux tournés vers leur culture originelle et leur patrimoine local pour y puiser idées et esthétique.

Al-Alj, grand virtuose de l’arabe marocain, dont les textes écrits pour des chansons ont rencontré un très grand succès(24), fit de cette langue l’un des éléments centraux de ses compositions scéniques. Le critique Mohamed Messari a écrit à propos de la pièce Ḥlīb Ḍyāf (« Le Lait des hôtes ou de l’hospitalité ») d’Ahmed Tayeb Al-Alj :

« La langue est le personnage principal de la pièce »(25). C’est une langue « épicée », dirons-nous, pour reprendre l’expression d’Omar Sayed(26). Que ce soit sous forme de proverbes, de sentence ou de poèmes ou de zaǧal, la langue marocaine se décline de différentes manières dans les textes d-Al-Alj. Cet usage artistique qu’il fit de l’arabe marocain est devenu même sa marque de fabrique. Il exploite toutes les potentialités de cette langue, surtout dans le registre comique, pour proposer des comédies hilarantes qui firent le délice des classes populaires. Nous pensons, à l’instar de la plupart des critiques et historiens du théâtre marocain, que c’est à travers la langue que se manifeste tout le génie de l’auteur marocain. Il est l’un des rares sinon le seul dramaturge marocain qui peut se targuer de maîtriser à la perfection la langue dialectale marocaine.

Néanmoins, la langue utilisée par le dramaturge marocain est ce que les chercheurs, en évoquant la langue développée par un Nagib Mahfouz ou par un Tawfik Al-Hakim, qualifient de « langue médiane », à mi-chemin entre l’arabe littéraire et l’arabe dialectal. Elle n’est pas celle du quotidien, ni celle de la technicité et de la modernité, mais il s’agit d’une langue qui, esthétiquement, relève de la poésie et de la prose rimée marocaine, et du point de vue du contenu, exprime l’imaginaire populaire. Dans sa structure, cette langue se veut claire et cohérente, à l’image de l’arabe classique, tout en gardant sa spécificité locale. C’est pour cette raison que l’universitaire Mohamed Kaghat qualifie la langue aljienne de « langue aspirante » dont le passage à l’arabe classique est facilité par la similitude des structures.

Sa langue, écrit-il, n’est pas de l’arabe classique simplifié mais un dialectal aspirant et c’est à partir de cette langue qu’il lui est facile de réécrire ses pièces en arabe classique. Et si l’expression « dialecte aspirant » présente quelque ambiguïté, c’est parce qu’elle ne précise pas clairement les limites de son aspiration car le passage de quelques-unes des pièces d’Al-Alj écrites en arabe classique ou réécrites en arabe classique après qu’elles avaient été créées dans un premier temps en arabe dialectal démontre que cette langue [la darija] garde la structure de l’arabe classique en s’inspirant de sa simplicité et rend classiques quelques-uns de ses proverbes qui ne dérogent pas aux règles de l’arabe classique »(27).

En remettant cette langue au goût du jour, le dramaturge marocain a rendu son texte plus accessible au spectateur marocain, puisque la langue qu’il utilise, malgré sa préciosité, est une langue vivante, compréhensible par la majorité de la population marocaine. Dans un Maroc qui venait d’accéder à l’indépendance où les deux langues, l’arabe classique et le français, étaient omniprésentes, Al-Alj fait redécouvrir à ses compatriotes la beauté de leur langue maternelle(28), langue qu’on a souvent reléguée à un plan inférieur et qu’on a toujours dénigrée, soit au nom de l’arabité et de l’islam soit au nom du progrès et de la technicité.

Quant à Tayeb Saddiki, il marqua lui aussi, grâce à son immense production théâtrale et à son dynamisme, la scène théâtrale marocaine des années 1950 jusqu’aux années 1990. Abdelwahed Ouzri a écrit à son sujet : « Il a été longtemps écrit et dit que l’itinéraire artistique personnel de Tayeb Saddiki(29) résumait à lui seul tout le parcours du théâtre marocain des années 1960 et 1970 de même qu’il révèle certains aspects des démarches novatrices du théâtre arabe »(30). Si Al-Alj a dans sa phase d’adaptation ou d’« élaboration » pour reprendre une expression chère à Hassan Mniaï, essentiellement puisé dans le répertoire européen classique, surtout dans celui de Molière dont il adapta presque la totalité de l’œuvre, Saddiki, lui, s’est plus intéressé au répertoire moderne en adaptant en arabe marocain des pièces comme Fī intidār Mabrūk (1964) d’après En attendant Godot de Beckett ou Mūmū Būḥurṣa (1969) d’après Amédée ou comment s’en débarrasser de Ionesco. Il fut d’ailleurs le premier à faire découvrir ces chefs-d’œuvre du théâtre mondial à ses compatriotes. Contrairement à al-Alj, Saddiki n’a jamais fait un usage excessivement rhétorique de la darija. Tout en ayant souvent recours aux jeux de mots, il n’aimait guère l’utilisation des adages et des proverbes.

« Je n’ai jamais aimé le style d’al-Alj. “Nos ancêtres ont dit que…”, les proverbes, etc. Chez al-Alj, dans la même phrase, tu trouves quatre adages. De temps en temps, c’est bien, mais que ce soit systématique, c’est appauvrissant. N’oublie pas que l’adage ou le proverbe servent uniquement à se débarrasser d’une réflexion »(31).

Au contraire, Saddiki opta pour un arabe marocain plus moderne, plus urbain et plus proche de l’usage qu’en font les Marocains au quotidien. N’oublions pas que celui-ci était d’abord et avant tout un metteur en scène, qui plus est, adepte d’un théâtre total et spectaculaire dont le texte n’est qu’une composante parmi tant d’autres.

Quand, à partir de la fin des années 1960, Saddiki réalisa qu’il avait fait le tour du théâtre occidental et qu’il avait besoin de « trouver autre chose ailleurs », il décida de monter des spectacles en s’inspirant du patrimoine et de la culture marocains. Et c’est ainsi qu’il mit en scène des pièces, telles Sidi ʿAb al-Raḥmān al-Meǧdūb (1967), al-Ḥarrāz (1970), devenues cultes aujourd’hui, dans lesquelles l’arabe marocain occupe une place toute particulière. Dans la première pièce, Saddiki a mis en scène l’une de personnalités les plus populaires au Maroc et au Maghreb, le mystique du XVIe siècle, ʿAbd al-Raḥmān al-Meǧdūb(32), célèbre grâce à ses Quatrains, considérés aujourd’hui comme un trésor national, « le livre oral » le plus populaire au Maroc. Dans ce spectacle, c’est l’arabe marocain sous sa forme versifiée, le Melḥūn(33), qui est célébré car la force et le génie du personnage que le dramaturge marocain a mis en scène résident dans son maniement du verbe et dans l’intemporalité des vers qu’il rédigea et qui sont devenus des maximes et des proverbes populaires faisant partie de patrimoine culturel maghrébin. La darija sous sa forme poétique et musicale, est encore mise à l’honneur dans l’autre pièce intitulée al-Ḥarrāz(34). Cette fois-ci c’est l’art du Melḥūn, en tant que musique traditionnelle, qui est convoquée puisque Saddiki s’est inspirée pour cette création de l’un des poèmes les plus connus de ce genre musical typiquement maghrébin, à savoir Qasīdatal-Ḥarrāz(35). Il faut savoir qu’il existe plus de quarante versions de ce poème considéré comme un des textes majeurs de la littérature populaire maghrébine. Cette pièce est devenue culte aussi parce qu’elle fut jouée par un groupe de jeunes comédiens dont certains constitueraient plus tard des groupes musicaux tels Nass al Ghiwan ou Jil Jilala, qui bousculeraient la scène musicale marocaine des années 1970 en imposant un nouveau style inspiré par les différents genres musicaux marocains traditionnels dont les paroles sont en arabe marocain.

Grâce aux œuvres d’al-Alj et de Saddiki, l’arabe marocain devient incontestablement « la langue naturelle » du théâtre marocain. Personne n’osera après eux contester l’utilisation de la darija dans les créations théâtrales locales. Au contraire toutes les générations suivantes, malgré quelques exceptions(36), ont eu massivement recours à l’arabe marocain comme seule langue capable d’exprimer l’âme marocaine et de traduire les sentiments et les humeurs de l’être marocain.

5. Kaouti le Noé de l’arabe marocain « rural »

Avant de parler de la place de l’arabe marocain dans les créations contemporaines, il est indispensable de s’arrêter sur l’une des expériences majeures où cette langue occupe une place centrale. Il s’agit de l’expérience de Mohamed Kaouti(37). Commençant son parcours théâtral en tant qu’amateur en s’essayant au jeu mais surtout à l’écriture, celui-ci ne tarda pas, grâce au succès remporté par certaines de ses pièces, à devenir l’une des plumes les plus prometteuses de la scène marocaine. Durant sa longue carrière, Kaouti a écrit une dizaine de pièces et collaboré avec les plus grands noms du théâtre marocain comme Tayeb Saddiki(38) ou le célèbre duo constitué par Abdel Wahed Ouzri et Touriya Jabrane(39).

Parfait bilingue(40) pour ne pas dire trilingue, maîtrisant aussi bien la langue de Molière, l’arabe classique que l’arabe marocain (plus précisément celui de la région du Haouz), Mohamed Kaouti réussit, grâce à ce qu’il appelle « la transplantation », à proposer des textes orignaux, inspirés certes d’œuvres européennes mais qui mettent en valeur le patrimoine rural marocain.

Pour transplanter une œuvre, kaouti procède par étapes : d’abord une première phase qu’il appelle : « possession de l’œuvre » pendant laquelle il fait, en plus bien sûr de la lecture et de la relecture, un travail de recherche pour récolter le maximum d’informations concernant la pièce qu’il veut transplanter (se documenter sur l’œuvre, son auteur, les circonstances de son apparition, la période historique dans laquelle elle a vu le jour…). Cette étape peut, selon lui, donner lieu à une première ébauche, première traduction / adaptation, assez fidèle au texte original.

Puis vient l’étape de la « réactualisation » qui s’effectue via la « performance » : c’est la phase de la recomposition et de la réécriture durant laquelle le dramaturge accomplit la partie la plus complexe de son travail en « transfigurant » le texte et en lui injectant des doses d’imaginaire, de codes sociaux, de façons de dire, de gestes marocains et d’arabe marocain.

Nous ne pourrons malheureusement pas décrire ici en détail comment Kaouti réussit avec virtuosité et intelligence, à réactualiser dans ses œuvres tout un imaginaire et une culture rurale marocaine longtemps dénigrés et même méprisés par une élite citadine. « Ma langue est mon alter ego » confie-t-il. En effet, l’un des points forts de la transplantation kaoutienne tient à la langue utilisée. Cette langue, à notre avis, peut même être considérée comme la composante la plus importante dans les transplantations kaoutiennes dans la mesure où c’est elle qui donne le ton, le rythme et oriente la fable. Kaouti est un grand maître en arabe marocain de la Chaouia(41). Cette darija rurale ou ʿroubiyya, il l’a héritée de ses grands-parents et l’a acquise pendant son enfance. Car, même s’il a vécu en ville, il a toujours entretenu un lien indéfectible avec le milieu rural dont est issue sa famille. C’est en passant du temps avec les paysans de la région de Chaouia et en participant activement aux travaux de la terre qu’il a tout naturellement appris cette langue locale. Néanmoins, Kaouti affirme que cette langue a mis longtemps à « s’installer », il lui a fallu la travailler et la parfaire. Ce talent a donc été progressivement acquis, et exercé dans plusieurs domaines dont celui de l’écriture, puisque Kaouti a composé des poèmes en arabe marocain (zağal) et a tenu même une chronique en arabe marocain Mawāqif 2000 (« Instances 2000 ») dans le quotidien marocain Bayān al-yawm.

Toutefois, selon nous, c’est surtout dans son théâtre que Kaouti a amplement fait montre de sa virtuosité langagière. Il a utilisé l’arabe marocain de manière plus importante dans ses deux transplantations Sīdna Qdar(42) d’après En attendant Godot de Samuel Beckett et Bū Ġāba(43) d’après Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht que dans ses autres pièces(44). Comme s’il relevait un défi, celui de faire de sa langue maternelle une langue universelle, capable d’exprimer et de servir les plus grands chefs-d’œuvre du théâtre mondial. Il y avait peut-être aussi la gageure de prouver à tous ceux qui considèrent l’arabe marocain comme une sous-langue, un dialecte auquel on refuse toute poéticité, que cette langue maternelle, si elle est bien maîtrisée et maniée avec talent, peut devenir un excellent moyen d’expression, d’une poésie et d’une subtilité raffinées.

Ce qui nous frappe d’emblée dans le texte kaoutien, c’est la richesse lexicale qui le caractérise. Le dramaturge dispose d’un réservoir linguistique qui semble inépuisable, et capable de rendre compte de n’importe quelle situation. Quand il est question par exemple des tâches que les ouvriers agricoles doivent accomplir, tout un champ lexical en lien avec les métiers de la terre est mis à la disposition des lecteurs ou des spectateurs. On voit se déployer une terminologie spécialisée exprimant exactement chaque geste et chaque travail à accomplir. Les mots puisés dans un vocabulaire purement rural relèvent d’un savoir-faire et d’une richesse linguistique qui tendent à se perdre dans un Maroc où les mutations engendrées par l’urbanisation et la mondialisation se font à un rythme accéléré. Dans Bū Ġāba, nous goûtons une langue jubilatoire, très imagée, riche en métaphores, paraboles, allégories, et autres figures. Beaucoup de ces figures de styles sont propres à cet imaginaire rural mis en avant dans l’écriture de Kaouti. Certaines semblent puisées au fin fond de cette culture rurale. Et comme par magie, au lieu d’être des expressions qui provoquent, comme à l’ordinaire, chez l’auditeur un rire condescendant, elles deviennent, dans la bouche des personnages et dans des situations précises, des paroles percutantes et pertinentes.

Si l’on veut trouver un exemple qui illustre cette intention poétique de l’auteur, citons celui de l’adaptation de la poésie arabe classique dans la pièce Bū Ġāba.

Kaouti établi une sorte de parallèle entre la poésie marocaine et la poésie arabe classique tout au long de la pièce par le biais de l’adaptation ou de la translation. Il n’hésite pas réécrire des passages de poèmes de quelques grands noms de la poésie arabe classique en arabe marocain. C’est ainsi que les vers d’un Abū Nuwas, Abī Bakr ibn Zuhr, Šams al-Dīn Muḥammad al-Nawāǧī, Ṣafīy al-Dīn al-Ḥilli, ou Abī Bakr ibn Zuhr… ont été réécrits en arabe marocain(45) et utilisés par les personnages de la pièce, surtout par le personnage principal. À notre connaissance, c’est la première fois qu’on est face à une telle pratique intertextuelle au Maroc. Cette démarche esthétique exprime l’amour que Kaouti, grand lecteur, voue à la poésie arabe classique et c’est en particulier un clin d’œil à toute une poésie bachique qui a bel et bien existé malgré les interdits qui frappent la consommation d’alcool en terre d‘Islam. L’œuvre de Kaouti semble donc s’inscrire dans la continuité de ce genre poétique et en tire une légitimité qu’on ne peut lui contester.

Bien qu’il se soit attaqué à des œuvres complexes, son savoir-faire et sa maîtrise dramaturgique et linguistique lui ont permis de rendre ces dernières accessibles, et même populaires auprès du public local. Il a même réussi, grâce à Bū Ġāba, comme en témoigne Touria Jabrane, à faire venir dans les salles de théâtre un public campagnard qui y avait rarement mis les pieds. Celui-ci s’est retrouvé dans les personnages de Kaouti qui lui ressemblaient tant.

C’est pour toutes ces raisons que certains chercheurs ont qualifié la langue pratiquée par Kaouti de « dialecte littéraire » et qu’ils l’ont surnommé « le Noé de la Chaouia » :

Il est, écrit Mohamed Amensour, le Noé de la Chaouia et son fils qui a recensé et noté dans son théâtre les mots, les proverbes, et les expressions, une prouesse que même les linguistes n’ont pas été capables d’accomplir. En faisant ainsi, il a répondu à l’appel de sa grand-mère, cette bibliothèque orale qui lui a légué, alors qu’il était enfant, le secret de la langue chaoui. Et quand il a abordé l’art de la transplantation, il a donné libre cours à sa mémoire d‘enfant à tel point que sa littérature transplantée s’est transformée en un levier qui a libéré le refoulé de notre patrimoine oral(46).

6. L’arabe marocain à l’épreuve du théâtre posdramatique

À partir des années 1990, le théâtre marocain a connu un événement qui contribua à changer radicalement le cours de son histoire : la création de L’ISADAC (l’Institut Supérieur des Arts Dramatiques et d’Animation Culturelle) en 1986. Ce fut et c’est encore la seule structure de formation dédiée aux arts du spectacle au Maroc. De cet établissement public sont sorties des dizaines de promotions de comédiens, de scénographes, de metteurs en scène qui ont irrigué aussi bien des secteurs de l’activité théâtrale que de l’industrie cinématographique. Grâce à leur formation professionnelle et à leur ouverture sur le théâtre mondial, les lauréats de l’ISADAC ont apporté un souffle nouveau au théâtre marocain en proposant des œuvres avec de nouvelles visions esthétiques qui différaient de celles des générations qui les ont précédés. Ils ne représentent pas un courant en soi mais différentes sensibilités artistiques qui ont en commun une tendance à mobiliser d’autres ressources scéniques pour créer des spectacles modernes capables de toucher et interpeller le spectateur marocain. Ainsi Abdelmajid Elhaouasse explore les possibilités qu’offre l’écriture du plateau et expérimente de nouvelles manières de faire du théâtre ; Jaouad Essounani en collaboration avec Driss Ksikes(47) proposèrent des pièces issues d’ateliers qu’ils ont développé ensemble dans le cadre d’une expérience inédite au Maroc : Dabateatr citoyen(48) ; Mahmoud Chahdi fait de la musique, du chant et des techniques numériques, comme le mapping-vidéo, des composantes essentielles de ses pièces ; Amine Nasseur, promouvant « un théâtre populaire de qualité » utilise, lui aussi, de manière originale la musique et le chant ainsi que la danse dans ses différents spectacles ; Naïma Zitane, adepte d’un théâtre de sensibilisation n’hésite pas dans ses créations à bousculer les tabous ; Mohamed el Horr exploite avec finesse toutes les possibilités qu’offrent les autres arts, cinéma, photographie, chant, pour féconder une matrice théâtrale bien solide ou enfin Asmaa Houri qui, grâce à une direction d’acteurs bien maîtrisée, fait des corps des comédiens de puissants vecteurs avec lesquels elle esquisse des tableaux d’une grande beauté esthétique et des scènes d’une grande force émotionnelle. Grâce à des démarches novatrices que certains qualifient de postmoderne ou de dramaturgies contemporaines, ces jeunes metteurs en scène ont, malgré les difficultés structurelles qui caractérisent leur environnement professionnel, réussi à proposer des œuvres originales qui plaisent aussi bien au public qu’aux critiques. Certains ont même eu grand succès au-delà des frontières marocaines : Asmaa Houri et Mohamed el Horr ont obtenu successivement, en 2016 et 2017, le grand prix du festival du théâtre arabe, événement considéré aujourd’hui comme l’une des plus prestigieuses manifestations théâtrales dans le monde arabe.

À de très rares exceptions(49), tous les spectacles de ces jeunes animateurs de la scène théâtrale marocaine contemporaine sont en arabe marocain. Ce choix est peut-être dû à l’héritage légué par les al-Alj et Saddiki, qui occupent une place particulière chez ces jeunes artistes. Ou peut-être, n’ayant plus le même lien passionnel qu’ont eu les générations précédentes avec la langue arabe classique, ceux-ci, se considérant d’abord comme marocains et ensuite comme citoyens du monde, ne ressentent aucune obligation ni aucune responsabilité symbolique pour recourir obligatoirement à la « langue du Coran et de l’arabité ». Naïma Zitane créa même une polémique sans précédent en mettant en scène Dyālī (« Le mien », en référence au sexe féminin, 2012), inspirée par Les Monologues du vagin de l’Américaine Eve Ensler. Selon plusieurs observateurs, l’un des éléments qui a le plus choqué une certaine frange des spectateurs fut l’utilisation de la darija pour parler de la sexualité féminine. Effectivement, la metteuse en scène a choisi d’aborder cette question délicate, dans une société patriarcale, de manière assez directe, sans recourir aux traditionnels discours composés de sous-entendus et d’allusions, ce qui lui a attiré les foudres d’un grand nombre de conservateurs, généralement de sexe masculin, dont certains figuraient même parmi les hommes de théâtre marocains les plus importants.

Nous avons même l’impression que pour certains des artistes appartenant à cette nouvelle génération, l’utilisation de l’arabe marocain apparaît comme une sorte de revendication identitaire qu’ils assument pleinement. Citons à cet effet, les échanges qui ont eu lieu après la représentation de la pièce Tamārīn fī al-tasāmuḥ (d’après Exercices de Tolérance d’Abdellatif Laâbi) lors de la 5e édition du festival du théâtre arabe qui a eu lieu à Doha en 2013, entre Mahmoud Chahdi, et les journalistes sur place. Ceux-ci, après avoir encensé la pièce, surtout l’esthétique et le jeu des comédiens, reprochaient au jeune metteur en scène, l’utilisation de l’arabe marocain que, d’après eux, la majorité des spectateurs et des critiques qui ont assisté au spectacle n’a pas compris. Le jeune metteur en scène leur a répondu en disant : « Avant d’être arabes nous sommes d’abord des Marocains et notre théâtre est destiné aux Marocains d’abord. » Et a ajouté « Notre richesse culturelle réside dans la diversité de nos langues et notre théâtre n’est que le reflet de cette diversité »(50).

Ces dernières années, grâce à ces jeunes metteurs en scène, le théâtre marocain a connu un phénomène inédit, une sorte de décentralisation linguistique qui a eu pour conséquence la création de spectacles non pas seulement en arabe marocain mais en différentes variantes de langues existantes au Maroc comme le tamazight ou le hassani(51). Hafid Badri(52), Amine Ghouada(53), Amine Nasseur(54), Mahmoud Chahdi(55), Abdeljabbar Koumrane(56), Latifa Ahrar(57), se sont lancé le défi de monter des spectacles en se déplaçant dans ces régions dont les populations parlaient d’autres langues que la leur. Ces expériences furent de francs succès : al-Khâlfa (« un coin de tente », 2018) mise en scène par Amine Nasseur d’après un texte en langue hassanie de Ali Mesdour, a obtenu le Grand prix de la 20e édition du Festival national du théâtre professionnel en 2019.

La jeune génération du théâtre marocain a même réussi l’exploit d’imposer un théâtre d’expression marocaine sur le plan arabe en remportant avec des pièces comme Ḥarīf ou Solo, le grand prix du théâtre arabe malgré que le règlement de cette compétition stipule que la priorité doit être donnée aux pièces en langue arabe classique. La qualité incontestable des réalisations post-modernes dans lesquelles une grande partie de l’information et des émotions passent par les mouvements, les expressions, les rythmes, les intonations, les sons, la musique, la lumière… ont rendu leurs spectacles compréhensibles par la majorité des spectateurs. Leurs œuvres constituent un démenti sérieux à ceux qui croyaient ou prétendaient que l’utilisation de la darija constituerait un frein à la diffusion les créations en arabe marocain à l’échelle arabe et mondiale.

Signalons enfin qu’aujourd’hui, en plus d’être le moyen d’expression par excellence des spectacles vivants au Maroc, l’arabe marocain devient aussi une langue de l’écrit(58) dans laquelle sont publiées plusieurs pièces. Ces dernières années des auteurs comme Zoubeir Ben Bouchta(59) ou Issam El Yousfi(60), ont réussi à éditer leurs textes en arabe marocain. Grâce à ces auteurs l’arabe marocain est peut-être en phase de devenir une langue de littérature écrite.

BIBLIOGRAPHIE

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Notes

* Maître de conférences, Littérature arabe moderne. E-mail: o.fertat@gmail.com
(1) Effectivement si les comédies qu’il adapta rencontrèrent beaucoup de succès, ce ne fut pas le cas de tragédies comme Alexandre le Grand, Iphigénie et Esther. Et C’est ce qui, selon certains, aurait découragé Ǧalāl de publier ses dernières traductions du Cid et d’Horace de Corneille.
(2) La première troupe arabe qui s’est produite au Maroc fut Ǧawq al-Nahda al-arabiya (la Compagnie de la Renaissance arabe) en 1923. Cette troupe était composée de comédiens tunisiens et égyptiens et dirigée par l’ancien comédien et chanteur de la troupe de Salāma Ḥiǧāzī et disciple de Ǧūrǧ Abyaḍ, Muḥammad ʿAz al-Dīn al-Miṣrī. Elle présenta plusieurs pièces : Harūn al-Rašīd wa al-ẖalīfa al-ṣayyād de Maḥmūd Wāṣif, Šuhadā‘ al-ġrām adaptée par Naǧīb al-Ḥaddād d’après Roméo et Juliette et surtout la fameuse pièce Ṣalāḥ al-Dīn al-Ayyūbī (Saladin), une adaptation du Talisman de Walter Scott, qui eut beaucoup de succès en Égypte et dans les divers pays arabes où elle fut présentée, y compris au Maroc.
(3) BENNANI. Rachid. 2008. al-Masraḥ al-maġribī qabla al-istiqlāl. Dirāsa drāmāturġiya (Le théâtre marocain avant l’indépendance). Rabat, Dār al-Watan li al-saḥāfa wa al-tibāʿa wa al-našr.
(4) L’essentiel des animateurs de ce théâtre étaient issus des associations des anciens élèves de lycées ou de collèges, comme la fameuse association des Anciens élèves du lycée Moulay Driss à Fès, dont les membres présentèrent la première pièce marocaine : Ṣalāḥ al-Dīn al-Ayyūbī (Saladin) en 1927. Et c’est à deux de ses membres, al-Mahdi al-Mnīʿi et ʿAbd al-Salām al-Twīmi, que l’on doit la publication de la première pièce de théâtre marocaine Ṭarṭīf (une traduction en arabe classique du Tartuffe de Molière) en 1927. Nous pouvons citer aussi le dramaturge Muḥammad al-Qurrī, ancien étudiant à la célèbre université al Quaraouiyine, qui périt dans les geôles françaises sous la torture en 1937,
(5) Cet échange a été relaté sur les colonnes du journal marocain al-Saʿāda en 1934.
(6) EL FĀSĪ, ʿAbd el-Kbīr. 1934. « Riwāyat al-‘awṣiyā’ » (La pièce les Tuteurs). al-Saʿāda, 30, février.
(7) Ibidem.
(8) BEN AL-ŠĪẖ, Muḥammed. 1934. « Luġat al riwāyāt al masraḥiyya » (La langue des pièces théâtrales). al-Saʿāda 317, 1 mars.
(9) Quand il évoque la poésie marocaine, l’auteur de l’article ne précise à aucun moment qu’il s’agit d’une poésie en langue arabe classique, comme s’il allait de soi que toute poésie est par essence en arabe classique.
(10) L’auteur a utilisé le terme arabe abāṭīl.
(11) Sidi Kadour el Alami (1742-1850) est l’un des plus grands poètes du Melḥūn.
(12) Cette information est fort intéressante et mérite un peu plus d’investigations.
(13) BEN AL-ŠĪẖ, op. cit.
(14) Ce lieu a été inscrit en 1985 au patrimoine mondial par l'Unesco et comme patrimoine culturel immatériel depuis 2008.
(15) Après avoir écrit à ses débuts des pièces exclusivement en langue arabe classique telle Saʿadat al ‘amīra (Madame la princesse), à partir des années 1950, Ahmed Al Alj change de registre et commence à écrire des comédies en arabe marocain qui rencontrèrent un très large succès auprès du public local. Parmi ses grands succès nous pouvons citer Mqadem Krimissa (1955).
(16) Bouchaïb al Bidaoui est considéré par bon nombre de spécialistes comme le rénovateur et le modernisateur de l'art de la Aïta. Avant lui, la Aïta se résumait à un chant typiquement rural, tribal et pastoral. Il a réussi à urbaniser cet art en en gardant les paroles mais en sophistiquant les arrangements musicaux, explique Hassan Bahraoui dans son livre L’art de la Aïta au Maroc.
(17) Art né dans les campagnes marocaines, la Aïta signifie cri. Ce cri qui sort des tripes et qui vient conter des louanges divines, exprimer une douleur partagée, dénoncer la répression ou repousser l’occupant, mais aussi chanter l’amour, ses bonheurs et ses souffrances.
(18) CHAKROUN Abdellah. 1997. À la Rencontre du théâtre au Maroc. Casablanca, Imprimerie Najāḥ al-ǧadīda.
(19) Ibidem.
(20) Pour avoir plus de détails sur l’action menée par André Voisin au Maroc voir notre article « André Voisin : l’initiateur oublié du théâtre populaire marocain », dans Pour un Théâtre-monde. Plurilinguisme, interculturalité et transmission, (codirection. Y. Abdelkader, S. Bazile, O. Fertat), PUB, 2013, p. 231-353 ; ou notre ouvrage Le Théâtre marocain à l’épreuve du texte étranger, traduction, adaptation, nouvelle dramaturgie, (sous-chapitre II : « André Voisin initiateur des premières adaptations marocaines »), Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2018.
(21) al-Mʿalem ʿAzūz d’après Le Barbier de Séville de Beaumarchais (1953) ;ʿMāyel Ǧḥā d’après Les Fourberies de Scapin de Molière (1953) ; et Mrīḍ H̱āṭrū d’après Le Malade imaginaire de Molière (1957-1958).
(22) Tayeb Al-Alj a un parcours atypique puisqu’il fut analphabète jusqu’à l’âge adulte et rejoignit le stage de formation en 1952 en tant que menuisier. Grâce à sa grande connaissance de la culture populaire marocaine dans laquelle il a baigné durant toute son enfance et à un amour inconditionnel pour le théâtre, il devient l’un des hommes de théâtre marocains et arabes les plus illustres. Pour plus de détails voir le chapitre « Ahmed Tayeb Al-Alj, le Molière marocains » que nous lui avons consacré dans notre ouvrage Le Théâtre marocain à l’épreuve du texte étranger, traduction, adaptation, nouvelle dramaturgie, op. cit, p. 277-331.
(23) SADDIKI, Tayeb. 2000. « Mémoire du théâtre et ses gens, les premiers pas sur les planches ». Libération (journal marocain), 10 mars.
(24) La chanson Yā dāk al-insān (Toi, l’être humain) chantée par le célèbre ʿAbd al-Hādi bel Ḥayāṭ, qu’il créa pour la pièce al-Šeṭṭāb rencontre encore aujourd’hui un énorme succès populaire. Nous pouvons citer d’autres succès comme Ma ‘ana ila bašar (« je ne suis qu’un homme »), chanson inspirée par une réplique de Waliy Allah (adaptation d’après Tartuffe de Molière) ; ʿLāš yā Ġzālī (« Pourquoi ma gazelle »)…
(25) AL-MESĀRI, Mouḥammad. 1969. « Ḥlīb al-Ḍyāf ». Afāq.
(26) Nous empruntons cette expression à Omar Sayed qui est l’un des membres fondateurs du groupe musical marocain Nass al-Ghiwan. Un groupe mythique dont les membres débutèrent leur carrière en tant que comédiens en jouant dans la pièce de Tayeb Saddiki, al-Ḥarrāz, avant de fonder dans les années 1960 leur groupe qui devint le symbole du renouvellement de la chanson marocaine. Nass al-Ghiwan utilisèrent dans leur chanson le dialecte marocain en puisant dans la mémoire populaire marocaine, dans le Malḥun, etc. Ils contribuèrent fortement à redonner à l’arabe dialectal marocain une certaine valeur et une poéticité incontestable. CAUBET, Dominique. 2004. « Entretien avec Omar Sayed ». Dans : Les mots du Bled. Paris, L’Harmattan, p. 195.
(27) KAGHAT, Mohamed. 1986. Binyāt al-t’alīf al-Masraḥī bil Maġrib mina al-bidāya ilā al-ṯamānīnāt (Structure de l’écriture théâtrale au Maroc des origines aux années 1980). Casablanca, Dār al-ṯaqāfa. (Notre traduction).
(28) L’arabe marocain n’est pas la seule langue maternelle des Marocains, il y a aussi la langue amazighe parlée par une très grande partie de la population locale.
(29) Pour plus de détails voir le chapitre « Tayeb Saddiki, le maître expérimentateur » que nous lui avons consacré dans notre ouvrage Le Théâtre marocain à l’épreuve du texte étranger, traduction, adaptation, nouvelle dramaturgie, op. cit, p. 335-403.
(30) OUZRI, Abdelwahed. 1997. Le Théâtre au Maroc structure et tendances. Casablanca, Les Éditions Toubkal.
(31) Entretien réalisé avec Tayeb Saddiki en août 2003.
(32) Cette pièce a été publiée sous le titre Diwān Sīdī ʿAbd al-Raḥmān al-Meǧdūb à Rabat par la maison d’édition Dār al Būkili li al-našr en 1979.
(33) Le Melḥūn peut être aussi bien de la poésie en arabe maghrébin qu’une musique marocaine.
(34) Il faut signaler que cette pièce écrite par Abdessalam Chraïbi a déjà été jouée par la troupe al-wafā’ al murrākušī avant qu’elle ne soit reprise dans une mise en scène différente par Tayeb Saddiki. Cette pièce a été publiée à Rabat par la maison d’édition Dār al Būkili li Nachr en 1980.
(35) Cette qasida (poème) monométique serait composée par à Moulay Ali El-Baghdadi en 1785.
(36) C’est au sein du théâtre amateur qu’il y a eu un regain d’écriture en arabe classique. Les animateurs de ce courant, souvent issus des universités et des lycées, très politisés, sensibles aux thèses nationalistes nassériennes et voulant proposer des textes traitant de sujets qui débordent le cadre national, comme la question palestinienne, préféraient s‘exprimer dans une langue littéraire capable d’être entendue et comprise au-delà des frontières marocaines. C’est dans ces circonstances qu’émergeront des auteurs dramatiques comme Abdelkrim Berrachid, Mohamed Timed, Mohamed Meskine…
(37) Pour plus de détails voir le chapitre « Mohamed Kaouti : de l’adaptation à la transplantation », que nous lui avons consacré dans notre ouvrage Le Théâtre marocain à l’épreuve du texte étranger, traduction, adaptation, nouvelle dramaturgie, op. cit., p. 446-498.
(38) Saddiki lui commanda l’écriture de la pièce Aṣwāt wa Aḍwā’ (« sons et lumières ») en 1989.
(39) Touria Jabrane est l’une des femmes de théâtre les plus talentueuses au Maroc, elle débuta comme comédienne amateur en participant aux stages organisés par le Ministère de la Jeunesse et des Sports avant de se consacrer entièrement au théâtre en jouant dans les troupes les plus prestigieuses du royaume comme celle de Tayeb Saddiki ou la troupe Al-Maâmoura. En 1987, elle créa avec son mari, Abdelouahed Ouzri, la troupe Masraḥ Al yawm (« théâtre d'aujourd'hui »). Elle fut la première artiste à occuper le poste de ministre de la culture de 2007 à 2009.
(40) Abdelwahed Ouzri est metteur en scène, écrivain dramatique et chercheur. Cofondateur avec sa femme Touria Jabrane de la compagnie Masraḥ Al yawm (« théâtre d'aujourd'hui). Après avoir été assistant de Tayeb Saddiki, il monta plusieurs spectacles qui eurent un grand succès. Il publia en 1987 un ouvrage intitulé Le Théâtre au Maroc. Structures et tendance, qui est l’une des références incontournables pour tout chercheur travaillant sur le théâtre au Maroc.
(41) Pas loin de Casablanca, La Chaouia est une région marocaine située entre l'océan Atlantique, l'Oum er-R‘bia, le plateau des Phosphates et le Plateau central, cristallin, la Chaouïa s'étend sur 10 700 kilomètres carrés. Elle fait partie de la région administrative de Chaouïa-Ouardigha (16 760 km2 et 1 655 000 hab. en 2004). Chaouia vient de chaoui (éleveurs de moutons), nom donné autrefois avec un certain mépris aux tribus arabo-berbères qui pratiquaient l'agriculture et le petit élevage semi-nomade. https://www.universalis.fr/encyclopedie/chaouia [06 novembre 2019].
(42) Mohamed Kaouti, Sidnā Qdar transplantation théâtrale d’après En attendantGodot de Samuel Beckett, Tanger, Les Publications du Centre International des Études du Spectacle, 2011.
(43) Mohamed Kaouti, Bū Ġāba transplantation théâtrale d’après Maître Puntila et son valet Matti, Tanger, Publications du Centre International des Études spectaculaires, 2012.
(44) Il utilisa l’arabe marocain dans des pièces comme al-Guffa (Le Panier, 1975) ou Ḥab wa tben (1998). Dans les autres pièces comme al-Qarāmiṭa yatamaranūn kamā rawāha H̱luyfa fi sūq štiyba (1976), (Les Karamates répètent. Telle qu’elle fut racontée par Khleifa à souk Chtaïba, 1976), al-Ḥallāǧ yuṣlabu marratayn (al Hallag recrucifié, 1978), Indiḥār al-awṯān (L’effondrement des idoles, 1980), al-Ring (Le Ring, 1990), il utilise essentiellement l’arabe classique tout en y insérant de temps en temps quelques fragments en arabe marocain.
(45) Pour bien souligner l’adéquation entre ces deux genres de poésie, dans l’édition de la pièce, à chaque fois qu’il est question d’un vers en marocain traduit d’après un vers en arabe classique, kaouti signale dans une note de bas de page, le vers arabe originel et son auteur arabe.
(46) AMENSOUR, Mohamed. 2012. « Madā’in Qāwtī wa ‘abwābuhā al-sabʿa » (Les villes de Kaouti et ses sept portes). Dans : Muḥammad Qāwtī, salsabīl tameġribiyet, Šahādāt wa ḍirāsāt. Ouvrage collectif. Tanger, publication du Centre international des Études des arts spectaculaires.
(47) Driss Ksikes est dramaturge, romancier et journaliste. Il a à son actif plusieurs pièces de théâtre en langue française dont certaines ont été traduites en d’autres langues, notamment en arabe en anglais. Pour plus de détails voir notre introduction de la pièce 180 degrés que nous avons édités aux Presses universitaires de Bordeaux (France) en 2015. Une deuxième pièce Le Match (en français et en anglais) du même auteur, a été publiée dans la même maison d’édition en 2017.
(48) Pour avoir plus de détails sur cette expérience voir les travaux fort intéressants de Catherine Miller : (en collaboration avec Selwa Abou El Aazm). 2016. « L’expérience de Dabateatr citoyen à Rabat (2009-2013) ». In : B. Dupré et al. (eds.). Le Maroc au Présent. Casablanca, Fondation Ibn Seoud ; « Il/houwa de Driss Ksikes par le Dabateatr : Une création théâtrale du français au Darija » ; et « Dabateatr Citoyen à Rabat (2009-2013) : Un nouveau théâtre dans la ville ? », articles en ligne publiés dans le site<https://www.academia.edu/> [06 novembre 2019].
(49) Nous pouvons citer à cet égard Abdelmajid Elhaousse qui a monté plusieurs spectacles en arabe classique. Cela est peut-être dû au fait qu’en plus d’être scénographe et metteur en scène, celui-ci est aussi auteurs (il a publié deux recueils deux recueils de nouvelles : 1995. al-Layālī al-bayḍā‘ (Les nuits Blanches). Éditions de l’Union des Écrivains marocains, et 2001. Samāwāt (Cieux). Éditions Théâtre Aphrodite) et amoureux de la langue arabe qu’il maîtrise très bien.
(50) Propos rapportés par Mahmoud Chahdi , entretien 31 octobre 2019.
(51) La langue hassanie est parlée en Mauritanie, dans le sud du Maroc, dans une partie du Sahara algérien, dans certaines zones du Sénégal, dans le nord du Mali et dans l'extrême nord du Niger.
(52) Hafid Badri a monté avec la troupe Thifswin (la première troupe créée à Al Hoceima en 2004) pour la saison 2010-2011 Tut Nin Zu.
(53) Amine Ghouada a monté avec la troupe Thifswin, Tringa pour la saison 2014-2015 avec une scénographie de Abdelmajid Elhaouasse
(54) Amine Nasseur monte avec la troupe Thifswin deux spectacles : Parkigh (2016) et Pirikula (2017) avec une scénographie de Tarik Ribh.
(55) Mahmoud Chahdi a monté avec la troupe Thifswin la pièce Itsud Awed (Il souffle encore) (2018).
(56) Abdeljabar Khoumarne a monté avec la troupe Nadi al Al Hoceima, la pièce al-ʿUqda (Le nœud) d’après un texte de Mohamed Sef.
(57) Latifa Ahrar a monté avec la troupe Thifswin la pièce Don Quichohe (Une adaptation du Don Quichotte de Cervantès) en 2019.
(58) Signalons que certaines pièces de Tayeb Saddiki comme que nous avons cités plus haut ont fait l’objet d’une édition papier dès les années 1970. D’autres du même auteur, surtout la série des Bsat ont été publiées pendant les années 1990. Quant à Tayeb Al-Alj, il a fallu attendre les années 2010 pour que certaines de ses adaptations moliéresques en arabe marocain soient éditées par la fondation qui porte son nom : al-Ḥāǧ al-ʿadama d’après Le Bourgeois gentilhomme (2011), Waliy Allah d’après Le Tartuffe (2011), al-Mūšūm d’après Georges Dandin (2011), al-Ṣāyna d’après L’école des femmes (2011) et al-Dāġūl d’après Le Misanthrope (2013).
(59) Zoubeir Ben Bouchta est un auteur dramatique dont les pièces ont été traduites en plusieurs langues. Ses pièces écrites et publiées en arabe marocain sont : 2000. Ya Mūǧa ġannī (Ô Vague Chante). Rabat, Éd. UEM ; 2004. Lālla Ǧmīla, Tanger, Éd. Théâtre Ibn Khaldoun ; 2006. al-Nār al-ḥamra (L’enfer rouge). Tanger, Éd. Bab Bhar cinemasrah ; 2007. Zenqat Šekspīr (Rue Shakespeare). Tanger. Éd. Bab Bhar cinemasrah. Parmi ses pièces traduites en français : Pieds blancs traduite par Zohra Makach et publié dans l’Édition Bab Bhar cinemasrah, Tanger, 2008 et Lala Gmila : le rocher des filles, traduite par Saïd Benjelloun et éditée par les Presses universiatires du Midi en 2017 et L’homme du pain nu, traduite par Saïd Hammoud et publiée par les Presses universitaires de Bordeaux en 2019.
(60) Professeur à l’ISADAC, Issam El Yousfi est l’un des dramaturges les plus actifs et dynamiques de la scène théâtrale marocaine. Il collabore régulièrement avec des troupes professionnelles comme celle d’Anfass. Écrivant aussi bien en arabe qu’en français, il publia plusieurs pièces de théâtre en arabe marocain comme Dmūʿ bel kḥūl (larmes de khôl), Rabat, Esquisse, 2013, qui fut montée par la metteuse en scène Asmaa Houri et obtient lors du 15e festival national du théâtre marocain cinq prix dont celui du meilleur texte, Twqi (Signature), Rabat, Esquisse, 2017.

Information additionnelle

BIBLID: [1133-8571] 26 (2019) 12.1-27



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