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ALLIAUME, P. Yves: Famille nomade déchue (El Goléa) (“Fallen nomadic family (El Goléa)”)
Francisco Moscoso García
Francisco Moscoso García
ALLIAUME, P. Yves: Famille nomade déchue (El Goléa) (“Fallen nomadic family (El Goléa)”)
Al-Andalus Magreb, núm. 25, pp. 185-196, 2018
Universidad de Cádiz
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Notas y Comentarios

ALLIAUME, P. Yves: Famille nomade déchue (El Goléa) (“Fallen nomadic family (El Goléa)”)

Francisco Moscoso García
Universidad Autónoma de Madrid , España
Al-Andalus Magreb
Universidad de Cádiz, España
ISSN-e: 2660-7697
Periodicidad: Anual
núm. 25, 2018

Publicación: 30 Diciembre 2018


FAMILLE NOMADE DÉCHUE (EL GOLÉA) P. Yves ALLIAUME

Recogemos en este apartado un texto sin fechar escrito por el P. Yves Alliaume (1900-1983), miembro de la Sociedad de Misioneros de África, conocida como Padres Blancos, que hemos encontrado en el Centro de Documentación Sahariana(1), el cual gestiona esta sociedad en Ghardaïa (Argelia). Hace cuatro años, publicamos una colección de textos de la Literatura oral de Touggourt que el P. Alliaume recogió en esta ciudad entre 1941 y 1953(2). En esta ocasión recogemos un texto en francés sobre la vida de uno de los habitantes de la ciudad de El Golea en el desierto argelino.

El P. Alliaume fue enviado a Argelia después de su ordenación en 1925. Su primer destino fue en El Golea en donde permaneció entre 1925 y 1941, dedicándose a la enseñanza escolar. El texto que hemos hallado en el Centro de Documentación Sahariana carece de fecha, está escrito solo en francés y no llegó a completarse. Sin embargo, teniendo en cuenta lo dicho anteriormente, podemos suponer que fue escrito antes de 1941. Durante toda su estancia en el Sáhara, se dedicó al estudio de la lengua árabe materna, recopilando muchos textos etnográficos en esta lengua allí donde estuvo. Desde 1941 y hasta 1953 reside en Touggourt, en donde recogió los textos a los que hemos hecho referencia en el primer párrafo. Más tarde, y hasta 1963, es trasladado a Aïn Sefra. Su última estancia fue en El Bayadh, en donde permanecerá hasta su regreso a Francia en 1978.

Nos ha parecido interesante presentar este texto porque recoge, por un lado, datos sobre el modo de vida de la gente de El Golea en la primera mitad del siglo XX y, por otro, porque también está impregnado de la visión orientalista católico- europea. Por último, queremos dar las gracias a los Padres Blancos por su amable acogida durante nuestra estancia de investigación en el Centro de Documentación Sahariana.

Francisco Moscoso García Universidad Autónoma de Madrid

0. Introduction

Kouider est un arabe chaambi(3), grand, maigre, les traits tirés, l’air un peu souffrant, toujours proprement et convenablement habillé. Il peut avoir 45 ans, toujours digne dans son attitude il a cependant sur le visage un certain air de bonté ; il sourit aimablement à qui vient lui parler.

Fils d’arabe de grande tente il est tombé presque dans la misère mais il garde une certaine fierté : il veut garder son rang. Il mange rarement à sa faim, mais personne n’en saura rien. Un jour que je lui disais de vendre ses beaux souliers pour acheter de quoi nourrir ses enfants il me répondit par un dicton populaire :

فُت على جاوك خويان وما تفوت عليه عريان (4) « Passe bien habillé devant ton voisin, il ne saura pas que tu as faim ».

Je ne sais au juste combien Kouider a des frères et de sœurs. Ce que je sais c’est que son père s’est marié successivement deux ou trois fois et qu’il eut de jeunes enfants jusque dans sa vieillesse. C’est ce qui fait que Kouider qui est l’ainé, et qui a aujourd’hui environ 43 ans, a une petite sœur qui n’en a encore que 7. Dans le pays c’est un cas très ordinaire. Je connais plusieurs vieillards de 70 & 80 ans qui ont encore des enfants qui tètent leurs mamans.

Á la mort de son père, Kouider ne put s’entendre avec la dernière femme introduite dans la maison. Celle-ci dut s’en aller avec ses cinq enfants. Les autres frères de Kouider s’éloignèrent aussi ; l’un s’engagea dans les compagnies sahariennes. Les autres partirent au désert. Kouider occupe donc la maison paternelle avec sa petite famille à lui.

La veuve de son père habite un gourbi, à quelques centaines de mètres de là, avec ses deux fils et ses trois filles. Elle se plaint continuellement d’avoir été laissée dans le partage des biens. Mais, allez voir de quel côté est la vérité ! Koudier, lui, prétend n’avoir jamais fait tort à ses frères.

1. Femmes et enfants

Étudions maintenant la petite famille de Kouider.

Heureux en mariage il a toujours gardé sa première femme et n’en a jamais eu d’autres. Elle est toujours là, paraissant à peu près du même âge que son mari, simple et polie, propre et active, aimant beaucoup ses enfants. Elle en a eu cinq. Il n’en reste plus que quatre. L’ainé Ahmed était intelligent et bon garçon, il avait été en classe chez les Pères et était devenu un grand jeune homme de 17 ans, lorsqu’il mourut. Sa pauvre mère en est restée inconsolable. Les larmes lui viennent aux yeux à chaque fois que l’on parle de son ainé qui n’est plus.

Fatna la seconde a aujourd’hui 18 ans, elle est mariée à un cousin germain depuis un an déjà. Élevée chez les Sœurs Blanches elle était une jeune fille modeste, laborieuse, respectueuse et très reconnaissante envers les Sœurs, qu’elle aime beaucoup, quand elle a quitté la maison paternelle. Elle y revient tous les vendredis, selon la coutume du pays, pour revoir ses parents. Les jours de fête, elle leur apporte un plat de couscous, qu’elle leur a préparé chez son mari. C’est ainsi que les jeunes femmes du pays s’assurent la bénédiction de leurs parents, le plus grand de tous les biens et le gage d’une vie heureuse.

Aicha, la troisième (14 ans) va tous les jours chez les Sœurs faire de la dentelle arabe et apprendre à tisser des tapis. Quand elle finit une pièce, elle apporte, joyeuse, à son papa le prix de son travail. Il y a deux ans la pauvre petite Aicha a été bien malade. Les Sœurs venaient chez elle presque tous les jours pour la soigner. Elles lui apportaient surtout à manger car, d’après les sœurs, la pauvre enfant se mourait surtout de faiblesse et de faim.

Kheira, la quatrième (11 ans) a commencé à aller chez les Sœurs, portée sur le dos de Fatna, à l’âge de trois ans. Depuis elle y a toujours suivi ses sœurs et elle ne voudrait pour rien au monde manquer une classe de lecture ou de couture.

Ali, le dernier, est un petit garçon de 8 ans, fort intelligent mais si faible et si chétif qu’on lui donnerait deux ans de moins. D’ailleurs Aicha et Kheira n’ont pas meilleur mine que lui. Comme leur père, ces enfants sortent toujours convenablement vêtus, mais le pain manque souvent à la maison et le soir on va souvent se coucher après avoir simplement mangé quelques dattes. Tous ses enfants sont toujours très propres, bien élevés et très polis.

2. Habitation

Autrefois Kouider allait au désert mais il y a beau temps que les chameaux n’existent plus et que la tente est vendue. Alors comme les nègres et les pauvres on est obligé de passer toute l’année à l’oasis. Chaque année, avec des yeux d’envie, Kouider voit partir ses voisins et amis pour le désert et lui il reste là.

La maison de Kouider est pauvre mais toujours très propre. Une cour de 10 m. sur 6, au fond et à gauche, les appartements : 2 pièces. Les murs sont en toub(5), la terrasse soutenue par des poutres de palmiers. Dans un coin de la cour 5 ou 6 sacs de dattes sont là entassés. C’est un ami, parti au pâturage, qui a demandé à Kouider de lui garder sa provision. De temps en temps quand sa famille n’a plus de dattes à manger au désert il vient avec un chameau, prend un sac ou deux et va les porter à la tente, là-bas, à deux ou trois jours de marche aux abords d’un puits où s’abreuvent les troupeaux. Presque au milieu de la cour, une grosse branche d’arbre est solidement enfoncée en terre. Elle n’a pas beaucoup plus d’un mètre de haut et se termine en fourche. À cette fourche est suspendue la gerba(6) : c’est la réserve d’eau pour les boisons du ménage. Quand la gerba sera vide Aicha la prendra sur son dos et ira chercher une ou deux voisines de son âge et ensemble elles iront au puits artésien chercher de l’eau. Le puits n’est pas loin, à dix minutes de là, mais les outres une fois bien pleines sont bien lourdes sur le dos des petites filles.

Mais entrons dans les chambres. Le seuil est relevé pour que Ba Messaoud ne se sauve pas. Ba Messaoud, c’est un hérisson que les petits élèvent dans la maison pour manger les cafards et les scorpions. Il est là qui coure sur le parquet parfaitement balayé. Dans un coin, une cheminée à coté de laquelle se trouve une marmite, un tamis, un keskas(7), un grand plat en bois. Au mur est suspendu un couffin qui contient le service à thé. De l’autre côté, par terre, deux ou trois couvertures, un coussin en laine aux couleurs variées et c’est tout. Dans l’autre pièce une corde est tendu d’un bout à l’autre ; on jette sur cette corde les habits de rechange qui ainsi ne touchent ni le sol ni les murs : les termites ne pourront pas les manger.

En hiver, la nuit, il fait froid dans ce gourbi sans porte, aussi Kouider demande-t-il à un riche voisin de lui prêter une tente qu’il dresse au milieu de la cour. La tente bien fermée garde mieux la chaleur et puis ainsi Kouider croit encore être au désert.

3. Alimentation

La nourriture n’est pas riche chez Kouider. Dans les beaux jours, quand il y a de l’argent à la maison, on mange le matin au petit déjeuner une sorte de bouille de farine (الحسة )(8), à midi une bonne poignée de dattes et le soir un bon repas de couscous. C’est la nourriture ordinaire du pays, mais souvent le soir Kouider et ses enfants doivent se contenter de dattes comme à midi. Quelquefois même il n’y en a pas. Les jours de congé les jeunes filles vont en groupes chercher du bois dans le désert et rapportent aussi des « danounes »(9), sorte de racines que l’on pile entre deux pierres et que l’on fait cuire comme on peut. Si vous leur demandez si cela est bon, ils vous répondront qu’il vaut mieux manger cela que de mourir de faim : خير من الشر وخلاص(10).

On boit du thé aussi chez Kouider comme dans tous les gourbis de l’oasis et cela n’est pas fait pour les enrichir. Le thé coute cher mais c’est une passion, on ne peut pas s’en passer. Il arrive que si on a qu’un franc pour le souper on achètera 10 sous de thé, 10 sous de sucre, on boira un verre et on se couchera sans manger. Bien plus fort ! À une certaine époque la commune distribuait du blé aux familles indigentes. Kouider avait ainsi reçu deux litres de blé. Il s’empressa d’aller en vendre la moitié pour acheter du thé et du sucre. Il riait, quelques jours après, de sa sottise en se disant : (11) بعت النعمة وشربت الما يا الاعمى « Insensé ! Tu as vendu ton blé pour acheter de l’eau ».

4. Relations entre les membres de la famille

Il y a beaucoup d’affection entre les membres de cette famille musulmane, mais bien entendu, elle ne se manifeste pas comme dans nos familles chrétiennes. Entre femme et mari aucune parole tendre, aucun regard aucun geste, qui témoigne un sentiment affectueux quelconque : mais aucune parole dure non plus du côté de l’homme, aucune fausse honte aucune timidité du côté de la femme. Á les voir parler et traiter ensemble on les croirait plutôt frère et sœur.

Le père aime ses enfants mais à la façon musulmane aussi. Devant les étrangers il affectera d’être indifférent ou même brutal à leur égard. Ainsi, si, marchant dans la rue avec d’autres hommes, il vient à rencontrer ses enfants, qui reviennent de classe, il fera semblant de ne pas les voir ou leur adressera quelques mot sec et durs. On dirait qu’il tient à montrer à ces étrangers que chez lui il est le maître, que son autorité est respectée et que tout le monde tremble devant lui. Dans l’intimité il est tout autre. Il parle gentiment avec tous ces enfants, il les laisse parler devant lui, même sa fille ainée. Celle-ci toutefois se montre beaucoup plus réservée que ses frères et sœurs, et, en parlant à son père, elle tient toujours les yeux modestement baissés. Kouider va jusqu’à s’amuser quelque fois avec ses deux plus jeunes enfants. Il leur joue des petits tours. Il cache les cuillères du petit Ali. Il dérobe un morceau de pain à la petite Kheira que familièrement il appelle الذيبة (12). Mais il ne se permet avec eux aucune caresse, aucun jeu de main. On dirait que s’il touchait gentiment ses enfants il croirait commettre une sorte d’impudicité.

La maman n’a pas tant de scrupules. Elle ne se croit pas obligée à tant de retenue.

Les enfants aussi aiment bien leurs parents. Sans doute ils n’embrassent jamais leur papa mais leur amour filial n’est est pas moine vrai. Ils pensent toujours à leurs parents avant de penser à eux-mêmes et s’il arrive qu’un oncle ou une tante leur donne quelque chose (dattes, pain, gâteaux) ils n’y gouteront jamais les premiers, ils courront tout joyeux et tout de suite le porter à papa ou à maman et le petit cadeau reçu sera partagé entre tous les membres de la famille.

Entre eux aussi ces enfants se portent beaucoup d’affection mais le préféré de la famille est sans contredit le petit Ali. Ses parents et ses sœurs lui donnent toujours la plus grosse part. Tous se réjouissent de ses succès scolaires. Tous s’affligent du moindre mal qui lui survient et s’empressent autour de lui pour le soulager. « Plus tard c’est lui qui nous défendra » me disait un jour la petite Kheira. La maman surtout chérit ce petit dernier, le seul garçon qui lui reste et qui lui rappelle son ainé qui n’est plus. Tout cela est vrai et cependant parfois on dirait que l’islam étouffe tout sentiment dans le cœur de ses bons parents. J’étais venu voir un jour le petit Ali que je savais malade. Je le trouvais dans les bras de sa maman. Celle-ci était assise par terre et regardais avec tristesse ce pauvre petit corps brûlant de fièvre « quel malheur –soupira-t-elle– s’il venait à mourir comme son frère ! ». Le papa accroupi à côté d’elle, l’air indifférent, se mit alors à sourire en disant « à quoi bon gémir et se lamenter : Dieu fera ce qu’il voudra. Si Dieu veut tout de suite tuer ton enfant dans tes bras il le fera et tes larmes ne le ressusciteront pas. Ton enfant n’est pas à toi, il est à lui ; s’il veut il le tuera et tout de suite tu n’auras plus qu’un cadavre entre les mains »

La poutre est à lui il en fait ce qu’il veut, il la brise et la jette au feu s’il le veut.

C’est tout ce que, dans sa théologie musulmane, Kouider avait trouvé de mieux pour consoler sa femme... Cette parole si dure me fit mal pour elle. Je m’attendais à la voir éclater en sanglots, mais non... au contraire... Du revers de la main elle essuya une larme qui aller tomber en disant ces simples mots : « C’est vrai ». Et, pour être aussi parfaite musulmane que son mari était bon musulman, elle s’efforcera de dominer sa douleur et de tuer en elle tout sentiment pour se soumettre à la volonté du Maître tout-puissant qui crée et qui tue qui il veut et quand il veut pour la seule et unique raison qu’il le veut.

Encore un événement qui nous permettra de pénétrer cette âme musulmane. Il y a de cela un an. Il est question alors de marier Fatna, la fille ainée. Kouider ne fait aucune allusion à la chose devant sa fille et aucun enfant n’en parle devant lui. La maman m’avertit en secret. Je lui demande si on a prévenu Fatna et si elle consent. Je lui en ai parlé en l’absence de son père, me dit-elle. Elle doit être contente parce qu’elle ne pleure pas. Devant son père elle fait comme si elle ignorait tout, mais en cachette elle prépare son trousseau. Dans le pays on ne consulte jamais la jeune fille. N’a le droit de dire que celle qui a été mariée une fois. Le père s’absente de la maison pour laisser les femmes préparer la fête. Le jour des noces il est au marché pour traiter d’autres affaires. Il a honte de marier sa fille presque autant que s’il la livre à la prostitution. Il fait l’ignorant, l’indifférant. Il affecte de n’en parler à personne. Il me confie qu’il aime sa fille, qu’il n’accepterait jamais de la vendre au plus offrant comme font beaucoup de bons musulmans et si elle allait ailleurs que chez sa tante il ne la laisserait pas partir, mais le fiancé est son cousin.

Il a refusé de la marier avant 17 ans, cas qui est assez rare dans l’oasis. Il sait que cela plait à sa fille, qu’elle aime bien sa tante et qu’elle s’entendra certainement avec elle. Il ne voudrait pour rien au monde la rendre malheureuse (à noter en passant que notre homme a raison et qu’il est beaucoup plus important que la jeune femme s’entende avec sa belle-mère qu’avec son mari car de fait, elle doit vivre beaucoup plus avec elle qu’avec lui. Elle travaille toute la journée sous les ordres de sa belle-mère tandis qu’elle ne voit la plupart du temps son mari que le soir quand il revient du travail).

Deux mois après je retrouve Kouider et lui demande comment va notre petit ménage : « Je n’en sais rien, me répond-il, depuis que Fatna est mariée je ne l’ai pas vue ». Elle n’habite pourtant pas loin et tous les vendredis elle revient à la maison paternelle mais elle a honte de se trouver en face de son père. Quand elle le voit dans une salle elle va se cacher dans une autre comme si elle avait commis une faute honteuse qui déshonore sa famille. Pendant longtemps encore le gendre évitera lui aussi de rencontrer son beau-père. Après 3 ou 4 mois la jeune femme et son père se parleront comme avant le mariage et tout redeviendra normal.

5. Relations de la famille avec l’extérieur

Les relations de la femme avec le monde extérieur sont à peu près nulles. La femme garde la maison, c’est l’homme qui va au marché et rapporte à sa femme de quoi faire le souper. Seules ses parentes est ses voisines viennent la voir chez elle, quand les hommes sont partis au travail ou au marché les 3 ou 4 femmes du quartier se réunissent tantôt chez l’une tantôt chez l’autre. Chacune apporte avec elle son fuseau et sa quenouillette, tout en filant la laine, on raconte des petites nouvelles, des choses insignifiantes. Le soir quand les hommes reviennent chacune regagne son logis. Ainsi par la force des choses, à part les petits potins du quartier la femme ignore presque tout du monde extérieur.

Les petites filles, elles, sortent tous les jours pour aller chez les Sœurs, mais elles vont et reviennent en suivant les petites ruelles tortueuses de la palmeraie, évitant les grands chemins où l’on risque de trouver du monde. D’ailleurs jamais un passant ne leur adresse la parole à moins qu’il ne soit de leur famille. Quelque fois Kouider enverra Kheira ou Ali (ou mieux les deux ensemble) acheter à la boutique du thé ou autre petite chose. Mais il aime mieux faire lui-même ses commissions. Il n’aime pas à voir ses enfants dans la rue. Les jours où il n’y a pas de classe, si ses filles ne vont pas au bois avec leurs compagnes Kouder les retient à la maison. Il ne veut pas qu’elles aillent ailleurs chez les voisins s’amuser avec les fillettes de leur âge. Chacune prend alors sa dentelle, s’assied dans un coin de la cour et avance son ouvrage. Souvent Mbarka, la petite voisine, bien bonne enfant elle aussi, vient travailler sa dentelle avec Aicha et Kheira. Ce sont des enfants modèles et les meilleures ouvrières des Sœurs. Kouider reçoit très peu de monde chez lui si, par hasard, il introduit un étranger dans la cour pour traiter en secret une affaire plus sérieuse. La femme et les fillettes disparaissent aussitôt dans l’une des deux chambres.

6. Degré d’instruction

Koudier ne sait que deux ou trois mots de français mais il prétend être fort en arabe. De fait, il est incapable de lire un journal ou un livre quelconque. Il sait tout juste lire et écrire une lettre, encore la remplira-t-il de fautes d’orthographe. Il sait un peu compter et faire une addition. Le petit Ali qui va tous les jours en classe chez les Pères en sait beaucoup plus que lui. Ce petit amuse tout le monde chez lui. Après la classe il répète en français, à la maison, tout ce qu’il a appris dans la journée. Papa, maman et petites sœurs restent bouche ouverte devant tant de science. Alors le petit bonhomme s’anime, il les interroge en français, « Avez- vous compris ? Mais parlez donc ! ». Bien entendu personne ne comprend rien et tout le monde se met à rire en voyant le petit faire la mine de se fâcher parce que on ne le comprend pas. Kouider n’est pas loin de croire que son fils pourra devenir un jour capitaine.

Les fillettes ont aussi appris quelques mots de français chez les Sœurs mais elles ont surtout appris à travailler. Tous les lundis un Père de la Mission va chez les Sœurs faire un petit cours de morale aux fillettes, de l’ouvroir. Les filles de Kouider l’écoutent avec beaucoup d’attention et d’intérêt et le soir elles répètent à la maison toute la leçon avec les exemples et les explications. Les parents restent en admiration en entendant leurs enfants raconter les belles histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament et leur expliquer en détail les X Commandements. Kouider apprécie beaucoup cette formation morale et il encourage ses enfants à en profiter.

7. Moyens d’existences

Il y a une dizaine d’années Kouider était mokhazni(13), cavalier, au bureau arabe. Il y est même resté assez longtemps. C’était l’âge d’or. Il avait un traitement fixe, un beau burnous bleu et surtout pas beaucoup de travail. Mais, sans doute, parce qu’il ne travaillait vraiment pas assez, il perdit un jour sa place. Depuis c’est la misère... Kouider est un brave homme mâle. Il faut bien le dire aussi un grand paresseux. Il n’a jamais pu se mettre à travailler. C’est le type de l’arabe, fier nomade, roi du désert mais qui devient tout de suite le dernier des hommes quand son chameau eut crevé.

Il prétend avoir mal aux reins après avoir donné trois coups de pioche en terre : « Ce n’est pas une pioche qu’il me faut, dit-il, c’est un chameau et un fusil, oui ! ». Mais nous ne sommes plus au temps de razzias et des écumeurs du désert. Il n’y a à vivre aujourd’hui que ceux qui cultivent leurs palmeraies. Kouider possède bien, en commun, avec ses frères quelques palmiers, héritage de son père. Au partage de bien, on n’a pas partagé les palmiers, on a jugé plus pratique de partager chaque année la récolte. Quand les dattes sont mûres Kouider va faire la cueillette avec ses jeunes frères et sœurs dont nous avons parlé au début de cette monographie. On met toutes les dattes en tas puis on partage. Quand un garçon prend deux couffins une fille n’en prend qu’un. Finalement la part n’est pas grosse pour chacun. Kouder n’emporte pas toujours son quintal de dattes. Les palmiers donneraient beaucoup plus s’ils étaient cultivés et fumés. Mais personne ne veut travailler plus que son frère ni travailler pour son frère. On n’arrive pas à se mettre d’accord pour travailler en commun et les palmiers végètent et ne donnent presque rien.

Chaque année Kouider sème aussi du blé à côté de sa maison dans un petit coin de 5 mètres sur 10 compris entre son gourbi et celui du voisin. Il trouve que c’est beaucoup et qu’il ne peut vraiment faire d’avantage. Tous les soirs il va au marché. Il passe pour un savant au milieu des autres bédouins et presque tous les jours l’un ou l’autre lui demande de rédiger une lettre. Dans un coin de la place, accroupi au pied d’un mur, une planchette sur les genoux en guise de table il écrit la lettre que lui dicte son client. Mais ce métier de scribe ne lui rapporte pas beaucoup. On lui donne 20 sous par lettre. Tout cela est bien peu de chose pour élever sa famille. Il y a bien du travail au chantier commun mais Kouider aimerait mieux mourir cent fois que de travailler à la pioche à côté d’un nègre. Il cherche toujours une place comme celle qu’il avait autrefois, une place de chaouch(14) ou de gardien, bref une place où l’on pourrait être assis toute la journée en étant bien payé. Mais cette place quand la trouvera-t-il ? Et les enfants ont faim à la maison. Heureusement que le midi ils profitent des cantines scolaires chez les Pères ou chez les Sœurs. Heureusement aussi qu’il y a une bonne tante maternelle, voisine de Kouider et qui aime beaucoup ses petits neveux. Elle vient tous les jours à la maison et quand elle voit les petits trop affamés elle leur apporte quelque chose ou bien elle va chez les voisins et leur raconte que les enfants de Kouider n’auront pas encore de quoi manger. Tout le monde aime Kouider et sa petite famille et on est généreux envers lui. Personne dans son milieu ne lui reproche sa paresse. Il n’est pas fils d’esclave pour travailler la terre et tout le monde trouve qu’il a raison de ne pas rabaisser sa noblesse.

8. Loisirs

Kouider en a beaucoup puisqu’il ne travaille pas : comment les passe-t-il ? D’une façon très simple. Il fera facilement la sieste la moitié de la journée. Il passera des heures assis par terre au milieu du marché formant un demi-cercle avec une demi-douzaine de désœuvrés comme lui. C’est là qu’il apprendra les nouvelles du monde et qu’il discutera politique. De temps en temps un ami l’entrainera jusqu’au café maure pour déguster une tasse de café. Le plus souvent vous le trouverez au coin de la place du marché assis au milieu d’un groupe sous un grand palmier : il est en train de jouer au kherbéga( 15 ). C’est un jeu qui ressemble au damier. Des petits trous creusés dans le sable figurent les casiers blancs ou noirs et comme pions l’un des joueurs emploie des petits cailloux blancs, l’autre des crottes de chameaux bien noires, bien rondes et bien sèches. Ce jeu doit être fort intéressant si on en juge au sérieux des joueurs et au nombre de ceux qui les regardent jouer.

9. Vie morale et religieuse

Koudier est religieux mais il n’est pas fanatique du tout. Il ne manque jamais de faire ses prières et son ramadhan, sa femme non plus, mais tous les deux comprennent très bien que d’autres ne soient pas musulmans. Ils reçoivent toujours avec plaisirs la visite des Pères et de Sœurs et ne parlent jamais mal d’eux devant leurs enfants. On n’a rien à redire sur la conduite de Kouider. C’est un homme droit, honnête et qui aimerait mieux mourir de faim que de voler son voisin. Il a un langage très religieux. Mettant toujours sa confiance en Dieu il défend à ses enfants non seulement de mendier mais même de dire à qui que ce soit qu’ils ont faim. Il leur prêche la patience musulmane.

Les voisins ou la bonne tante apportent-ils quelque chose il dit aussitôt à ses enfants : « On remercie le bienfaiteur mais c’est surtout Dieu qu’il faut remercier car c’est lui qui enlève à l’un pour donner à l’autre ».

Quand il a reçu quelque chose Kouider se montre généreux. Si un pauvre vient à sa porte il partagera avec lui ce qu’il vient de recevoir et si le petit Ali lui dit qu’il ferait mieux de garder quelque chose pour demain il lui répond(16)[...]. Il pourrait ajouter le dicton populaire si souvent répété à El Golea ; il résume bien sa conduite(17) [...].

Material suplementario
Notas
Notas
(1) Cf. http://www.ccdsghardaia.org/
(2) Cf. ALLIAUME, P. Yves. 2015. Literatura oral de Touggourt. Francisco Moscoso García (ed.). En: El jardín de la voz. Biblioteca de Literatura Oral y Cultura Popular 18. Alcalá de Henares - México, Área de Teoría de la Literatura y Literatura Comparada, Universidad de Alcalá - Instituto de Investigaciones Filológicas de la UNAM. [https://ebuah.uah.es/dspace/handle/10017/23280, consultado el 18 de marzo de 2019].
(3) Tribu del sur argelino en cuyo hábitat se encuentra El Golea.
(4) fūt ʕla žārǝk xǝwyān u ma tfūt ʕlīh ʕǝryān “pasa junto a tu vecino hambriento y no pases desnudo”.
(5) tūb, col., “ladrillos de arcilla secados al sol”, en español adobe (cf. Beaussier, Marcelin. 1958. Dictionnaire pratique arabe-français contenant tous les mots employés dans l’arabe parlé en Algérie et en Tunisie, ainsi que dans le style épistolaire, les pièces usuelles et les actes judiciaires. Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée par M. Mohamed Ben Cheneb. Alger, La maison des livres, p. 616).
(6) gǝrba “odre” (cf. Beaussier, op cit, p. 788).
(7) kǝskās “olla cuyo fondo está agujereada y en donde se introduce el cuscús con el fin de cocerlo al vapor sobre la olla en la que se cuece la carne” (cf. Beaussier, op. cit., p. 866).
(8) En Beaussier (op. cit., p. 205) hemos encontrado la variante Иaswa “sopa”, “brebaje”.
(9) Orobancáceas con aspecto de espárragos, ذنون dnūn, en Argelia son las especies Phelypaea arenaria (Borkh.) Walp., “jopo de arena”, y Phelypaea violacea Desf., “jopo violáceo” (cf. Beaussier, op. cit., p. 347).
(10) xīr mǝn ǝš-šǝrr “mejor que el mal” (Beaussier, op. cit., p. 708).
(11) bǝʕt ǝn-nǝʕma w šrǝbt ǝl-ma ya l-āʕma “vendiste los granos (riqueza, prosperidad, abundancia) y bebiste el agua, ¡ciego!” (cf. para nǝʕma Beaussier, op. cit., p. 987).
(12) ea-aība “la chacal” (cf. Beaussier, op. cit., p. 370).
(13) mxāzni “caballero árabe que depende de la Administración” (cf. Beaussier, op. cit., p. 281).
(14) “Especie de alguacil, de empleado subalterno en una oficina” (cf. Beaussier, op. cit., p. 549).
(15) cf. Beaussier, op. cit., p. 272.
(16) Aquí falta una frase en árabe
(17) Idem.
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